Éditer
Militer




Sol Nis (Soline Guigonis)


mémoire DNSEP 2020-2021

Comment les éditeurices militent
Comment les militant·es éditent


introduction
1 - les éditions des femmes
2 - zines militants : Polyvalence / PD la Revue
3 - les collages féministes
4 - la langue inclusive
conclusion / remerciements
bibliographie commentée
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dirigé par Alice Laguarda
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ésam Caen/Cherbourg
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Sol Nis · ÉDITER/MILITER – Introduction

introduction

sources / musiques / transcription

sources -

Pauline Maucort, avril 2020, « Vivre avec la solitude », réalisation : Véronique Samouiloff, série documentaire radiophonique, LSD, La série documentaire, France Culture.

Donna Haraway, Manifeste Cyborg, 1985, traduction française : 2002 (Nathalie Magnan)

Lauren Bastide, 30/08/2020, « Paul B. Preciado », La Poudre, épisode 79 , émission de radio, Nouvelles Ecoutes

TED, 07/12/2016, « The urgency of intersectionality | Kimberlé Crenshaw », vidéo, YouTube.

musiques -

Anne Sylvestre, Frangines, in J'ai de bonnes nouvelles, 1979, prod. Anne Sylvestre

Anne Sylvestre, Les Hormones Simone, in Partage des eaux, 2000, EPM Musique

Princess Nokia, Tomboy, in 1992 Deluxe, 2017, Rough Trade Records

Kiddy Smile, Let A B!tch Know, in Enough Of You (EP), 2016, Defected Records

transcription -

En avril 2020 j’écoute sur France Culture l’émission « Vivre avec la solitude » de Pauline Maucort pour LSD. La description comprend cet avertissement :

« Les personnes que vous allez entendre sont exclusivement des femmes. Il ne s’agit pas d’un choix volontaire de notre part, nous avions prévu de diffuser également des récits d’hommes. Cependant, au fur et à mesure que les entretiens et le montage avançaient, la parole des femmes s’est révélée si puissante qu’en comparaison, celle des hommes paraissait faible. Pour ne pas les desservir, et dans un souci d’apporter le meilleur à nos auditeurs, nous avons donc préféré la radicalité, la liberté et la beauté. »

J’ai trouvé ça formidable. Il faut savoir que je suis ce qu’on appelle communément une « sale féministe extrémiste de merde ». Bien sûr, j’ai pas manqué de me dire que dans ma vie, on m’a jamais prévenu que j’allais écouter exclusivement des hommes, même si ça a souvent, souvent, souvent été le cas.

Moi j’ai envie de l’expliquer de cette façon : la parole des opprimé·es a été ignorée pendant si longtemps que quand on l’écoute, elle renverse par sa force et sa radicalité. Elle touche plus profond parce qu’elle résonne avec tout ce qu’on a dedans et qu’on a pas osé dire. Elle a surmonté tellement d’obstacles avant qu’on l’écoute qu’une fois dehors elle sonne plus clair.

La question de la parole prise, donnée, transmise est cruciale dans les luttes contre les systèmes de domination. Elle est aussi centrale dans mon travail. Parce que, dans ce projet, je vais parler beaucoup, je pense que c’est important de savoir d’où je parle. Je suis queer, et je le revendique au delà de mon identité, comme une appartenance à une communauté et comme un positionnement politique. Mais je suis aussi blanc·he, et de classe moyenne sup tendance culture, ce qui m’a permis d’accéder à des études supérieures longues, en particulier aux écoles d’art publiques.

Si j’expose mes étiquettes comme ça, c’est pas pour faire un concours, ou parce que j’adore me catégoriser. C’est parce que je pense que l’objectivité n’existe pas. Ce qu’on appelle objectif et universel, ça a été construit de toutes pièces par les dominants qui ont écrit l’histoire des êtres et des pensées. Ce qu’on appelle objectif est en fait masculin, blanc, bourgeois, cisgenre, hétérosexuel, valide, etc. La penseuse américaine Donna Haraway parle de « pensée située ». Elle estime que toute pensée est d’abord le fait d’un sujet de chair qui se situe dans un environnement matériel ; à travers cela, elle déconstruit la prétendue objectivité scientifique qui est le prérequis de toutes les sciences et connaissances. C’est moi, c’est aussi mon corps, et ce que la société en fait, qui vous parle

C’est donc de là que je fais ma petite enquête. C’est pas anodin de le savoir. D’abord, je fais cette enquête pour moi. Quand je serai grand·e, je veux être éditeurice ; depuis longtemps maintenant, je suis féministe ; alors je vais regarder comment les autres l’ont fait avant moi, comment ielles le font aujourd’hui. Je cherche les réponses proposées aux questions que je me pose aussi et de là je pioche de quoi remplir mon petit panier garni. Donc, en un sens, je suis mes propres pas, même si j’espère bien sûr ne pas être seul·e sur le chemin.

Mais je fais aussi cette enquête par moi. Je parle de féminisme et de militantisme queer parce que c’est ça qui me touche et que je porte sous la peau. Par exemple, je n’aborde pas l’antiracisme. Ca n’est pas parce que je me désintéresse de ce combat, au contraire ; déjà, comme je suis blanc·he, je ne suis pas la mieux placé·e pour en parler ; en plus, parce que je suis blanc·he, et que je gravite dans des milieux militants qui le sont aussi majoritairement, je n’ai pas toujours les références des milieux anti-racistes, parfois même quand je les ai cherchées, car elles ne me sont pas toujours destinées. En résulte un corpus qui, s’il est clairement moins masculin et hétérosexuel que d’habitude, reste quasi-complètement blanc. Je n’ai aucune prétention à être exhaustifve, mais je ne veux pas non plus excuser mes biais culturels, surtout quand ils vont dans le sens de la norme dominante.

C’est aussi pour ça que, tout au long de ma recherche, je dis « je ». C’est moi qui parle. Et c’est important de revendiquer que je parle depuis mon endroit, depuis mes privilèges et depuis mes oppressions, parce que si je cherche à atteindre cette objectivité à laquelle je ne crois pas, c’est au risque de finir absorbé·e par le point de vue dominant. Ça, je le prends notamment au philosophe queer Paul B. Preciado, qui en parle dans un épisode du podcast de Lauren Bastide, La Poudre. Iel explique que l’autofiction est le seul genre dont peuvent s’emparer les paroles dominées, sans quoi leur individualité, qui est cruciale, est absorbée par la pensée patriarcale et coloniale. Dire « je », ce n’est pas s’égocentrer. D’ailleurs le « je » d’écriture n’est pas confondu avec l’individu·e. Iel sert aussi à recréer les histoires, les généalogies des corps politiques. Isabelle Alfonsi parle de « réseaux d’affects » qui lui permettent de repenser l’histoire et l’art par le queer.

Ah, avant de plonger, je vais en profiter pour accorder nos violons.
Voilà quelques définitions de termes que je vais employer dans la suite des épisodes.

féminisme

Au sens large, j’utilise féminisme pour parler de la défense des droits des femmes en tant que groupe et du combat pour l’égalité. Les féminismes sont très variés et souvent se contredisent. Ils ont en commun la reconnaissance de différences de traitement entre les hommes et les femmes et la volonté d’y remédier. Ils divergent sur leur analyse des causes de ces différences, et sur les façons d’agir pour changer les choses.

queer

Queer est un terme anglophone qui sert de rassembleur à toutes les expériences sortant de l’hégémonie hétérosexuelle et cisgenre. À l’origine une insulte, il sous-entend un positionnement plus politique et radical que l’acronyme LGBT+, et est plus inclusif.

Vocabulaire associé :
transgenre : dont le genre diffère de celui assigné à la naissance.
cisgenre : dont le genre correspond à celui assigné à la naissance.
intersexe : ayant des particularités physiques et physiologiques qui sortent de la binarité sexuelle. Antonyme : dyadique.

patriarcat

J’entends par patriarcat le système d’oppression qui, classant les humain·nes en deux catégories de genre distinctes, hiérarchise ensuite leurs membres et leurs interactions. Je pense que les dominations masculine, hétérosexuelle, cisgenre sont un tout et, bien qu’elles aient des avatars et des effets concrets variables au sein d’un même groupe voire d’un même individu, les conséquences qu’en sont la misogynie, l’homophobie et la transphobie sont plusieurs visages d’un même système et ne peuvent être pensées indépendamment. À ce sens, le terme cishétéropatriarcat peut être considéré comme un pléonasme. Je ne critique pas son usage, mais je préfère par convention et par simplicité en rester à celui de patriarcat.

systémique

« Systémique » désigne un événement consubstanciel à son système culturel et social, et donc analysable en tant que tel. Il s’oppose à la conception de cet événement comme ponctuel, isolé, indépendant. Par exemple : les agressions sexuelles sont un problème systémique, parce qu’elles sont permises et comprises par le système. À ne pas confondre, par proximité, avec « systématique » qui désigne une récurrence et non un positionnement politique.

intersectionnalité

L’intersectionnalité est un courant du féminisme contemporain qui propose de prendre en compte différents axes d’oppression en les considérant comme interdépendants, et de penser les situations matérielles uniques créées par leurs croisements au sein des expériences individuelles comme collectives. Il a été théorisé par Kimberlé Crenshaw qui l’applique en premier lieu à la réalité sociale des femmes noires.

Voilà, vous savez tout. On va pouvoir commencer.

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Polices de titrage : Almendra et Almendra Display par Ana Sanfelipo
Sol Nis janvier 2020